An afternoon with pictures [PV Billie]

1. 2. 3. 4. 5. 6. Les secondes défilaient dans sa tête comme les clients à la caisse d'un supermarché. A une lenteur indescriptible. Dans un brouhaha confus. Sur le même rythme psalmodique. 17. 18. 19. 20. Comme une berceuse. 21. 22. 23. Qu'on ne perçoit plus qu'à moitié parce que l'harmonie et la constance du son nous endort. Qu'on entend plus mais qu'on écoute. Le regard ailleurs, fasciné. 33. 34. 35. 36. Qui nous fait entrer dans un état de semi conscience où l'on oublie jusqu'à notre âge. 42. 43. 44. Notre prénom. Le nom du chien du voisin. Ce concept qu'on a lu dans un livre. Nos secrets. Les recettes de cuisine. La prochaine soirée. 55. 56. 57. 58. 59. A terme, lorsqu'elles sont suffisamment nombreuses, les minutes s'agrègent et forment un ballet tragique. Le rideau se lève sur la scène cervicale où s'agitent leurs tutus roses avec monotonie. Il n'y a pas de spectateurs. Il n'y a même pas de musique. Juste cet entêtant tic tac qui résonne comme des claquettes, qui martèle la tête inlassablement. Puis viennent les heures.

C'est un cauchemar sans fin.

Billie ouvrit brusquement les yeux et jeta aussitôt un coup d'œil à l'horloge qui trônait dans sa caravane comme si ce geste pouvait lui faire oublier ce rêve étrange, à la Tim Burton. L'après-midi venait à peine de commencer. Il lui semblait pourtant avoir dormi des jours durant. Un instant elle s'interrogea sur sa santé mentale : non seulement elle perdait la notion du temps mais en plus son cerveau avait réalisé la prouesse d'imaginer des minutes en tutus roses. Non mais sérieusement. Soit elle était folle soit... quelqu'un lui avait glissé un champignon hallucinogène dans son petit dej'. Oui. Ça devait être ça. Billie, folle ? Non mais vraiment, qu'est-ce qui lui passait par la tête. Elle était probablement la personne la plus raisonnée de ce camp. D'ailleurs elle n'avait jamais vraiment compris pourquoi on la qualifiait souvent de délurée. Il lui semblait tout à fait normal de communiquer avec les plantes, de surnommer chacun de ses verres, de faire des câlins à sa caravane (surtout après des intempéries). Et sans doute ne se rendrait-elle jamais compte de l'incongruité de ces comportements. C'était là probablement le pire...

« Salut ! » lança t-elle en croisant Vicky qui, comme à son habitude, s'adonnait à sa grande passion. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de lui parler et bien qu'elle ait encore les yeux assoupis et les cheveux en vrac, cet instant lui sembla être le moment idéal pour remédier à cette lacune relationnelle, comme elle aimait à les appeler. Qui plus est, depuis quelques jours maintenant, Verovski avait une idée en tête – et Dieu sait que quand elle en avait une, elle n'en démordait pas – et celle-ci impliquait justement Vicky. Pour une fois, elle ne prit pas la peine de s'interroger sur la part de hasard, de coïncidence, de destin – comme je viens de le dire, elle n'y a pas réfléchi donc je laisse toutes les options ouvertes, voilà – de cette rencontre inopinée et alla droit au but : « Ca te dirait de travailler avec moi sur un projet ? » Elle se posta juste en face d'elle et précisa, un sourire enthousiaste au bout des lèvres. « C'est pour les enfants ».

Elle s'appuya finalement contre la caravane et réalisa qu'en plus d'être une collègue idéale, Vicky pouvait aussi être une personne à qui elle pourrait parler de Joshua. Elle n'avait pas prononcé ce prénom depuis 5 jours, 4 heures et 38 minutes. A peu près. Oui elle comptait. Et la perspective d'en parler avec quelqu'un de plus ou moins extérieur à leur relation lui semblait être la meilleure. Elle était justement à la recherche d'un avis purement objectif. Et Vicky était là. Sans y réfléchir, elle avait donc obtenu sa réponse : nul doute possible, c'était le destin.